« Parker, où vous croyez vous ?! »

« Dans une salle de cours entrain de me faire chier. D’ailleurs, je me casse, salut. Vous pouvez me coller un rapport sur le coin de la gueule, je m’en cogne à un point pas croyable. »

La jeune fille se leva, choppa son sac de cours et claqua la porte derrière elle. Encore une fois, cette chape de mauvaise humeur qu’elle traînait partout venait de lui jouer des tours. Parce que mauvaise humeur combinée à grande gueule, ça ne fait jamais bon ménage. Alors Bonnie s’était lâchée et avait tout simplement insulté son professeur de mathématiques, la pauvre ne faisant que ce pour quoi on la payait. Un rapport, un énième. A croire que son dossier avait encore une petite place pour un énième message de mécontentement d’un enseignant. Enervée, la grande blonde shoota dans un mur du bout de ses Rangers et gueula « PUTAIN ! », lorsqu’une douleur fulgurante envahit son pied. Toutes les classes avaient dû entendre, et chacun devait se dire « Oh, c’est Parker de mauvais poil, ça », en son fort intérieur. Avant de commencer un énième PJC (Petit Jeu Con), comme elle les appelait, la jeune fille préféra sortir du lycée. De toute manière, cette heure de mathématiques était la dernière de la semaine, et après suivraient les vacances d’hiver ; la lycéenne aurait alors tout le temps de rattraper son cours et de calmer le jeu auprès de sa mère. Machinalement, la blonde sortit une cigarette de son paquet, en proie à un stress mêlé d’énervement. Peu commun.

D’habitude, elle arrivait assez bien à se maîtriser, et à ne pas trembler comme elle le faisait maintenant. D’un pas las, Bonnie prit le chemin de chez elle ; une de ces grandes villas multicolores du centre-ville, surveillée par des meutes de chiens et des gardes armés. Le soir même, la jeune fille allait fêter ses quinze ans. Bah oui, être de la fin de l’année, c’est ça. On est toujours en retard sur tout le monde, et on fête notre anniversaire après tous les autres. Bref. Bonnie arriva enfin à ladite villa, et prit tout son temps pour faire son entrée. Ses parents l’attendaient à l’entrée, bras croisés et sourcils froncés. Le lycée avait dû les appeler, à tous les coups. La lycéenne soupira profondément, sachant déjà pertinemment ce qui l’attendait. Lorsqu’elle arriva à la hauteur desdits parents, ils s’écartèrent pour la laisser passer, et fermèrent la marche derrière elle. La grande blonde ferma les yeux, en se massant les tempes. Juste le temps de faire tomber son sac sur le sol, et son sale quart d’heure commençait.

Une gifle.

Une main qui lui arrachait sa cigarette.

Une autre gifle.

« Mais enfin, ma pauvre ! Que vous est-il passé par l’esprit ?! Et quel est donc cet horrible tenue ? Vos n’avez même pas encore avalé vos quinze ans que vous pensez déjà à adopter un style de vaux-rien des rues ?! Et cette cigarette, mon dieu ! Vous avez dû être bien mal influencée, pour tourner aussi mal. Mais quelle horreur ! Et vos beaux cheveux blonds ! Oh mon dieu ! Nous allons changer tout cela ! Et je vous assure que cette fois-ci, nous ne serons plus aussi cléments. Et on ne laissera plus rien passer de vos horribles fantaisies. Comportez vous en digne membre des Du Sacre ! »

« Et bah franchement, je suis heureuse de ne pas avoir d’amant, moi. Oh, mince alors ! Je n’ai rien dit ! Père, vous n’avez qu’à regarder son portable, il est rempli de textos plus ou moins coquins. Ah lala, vilaine Judith ! »

Un sourire satisfait étira les lèvres de Bonnie. Elle avait enfin réussi à se venger de sa mère. Toute sa rancœur avait été mise dans cet affront ; elle savait depuis un bon moment que sa mère faisait son père cocu ; mais jusqu’à présent, n’en avait dit un mot. Mais là, les paroles hypocrites de sa mère étaient le jet d’eau qui faisait déborder la piscine. Plus un vase, mais une piscine à système auto-rotatif, carrément. Son père fronça les sourcils et se rua sur le portable de sa mère. Cette dernière, indignée, criait à tout va que sa fille « n’était qu’une perfide menteuse qui cherchait à détourner l’attention de son père pour ne pas recevoir la correction qu’elle mérite ! ». Et pourtant, et pourtant. Son père dénicha finalement ledit portable, et regarda à l’intérieur, malgré les protestations soutenues et hystériques de sa femme. Et ce qu’il y vit le fit devenir livide, tandis que ses sourcils se fronçaient de plus en plus. La rage fulminait par tous les pores de sa peau ; la rage d’avoir été trompé et trahi, la rage de ne pas avoir su plus tôt. Bonnie regardait la scène, éprouvant un plaisir indescriptible à voir sa mère, cette femme tant détestée et haïe se ramollir sur place à vue d’œil, devant son mari. Ce dernier était comme foudroyé ; sa bouche était ouverte, figée sur une mimique abasourdie. Ses yeux fixaient sa femme : comme s’il cherchait un quelconque signe d’innocence dans son regard. Comme s’il voulait que ce ne soit d’un rêve, un simple rêve. Et que rien de tout cela ne se soit passé. A voir l’expression de son père, les remords fondirent sur Bonnie. Son impulsivité l’avait encore une fois poussée à faire une connerie. Mais cette fois, ça n’était pas une « petite » connerie faite au lycée ; là, elle venait de briser sa propre famille. Et ça n’était que maintenant qu’elle s’en rendait compte. Seulement maintenant.

« Edouard, je … »

« Non. Ne dis plus rien. Fais tes valises et fous le camp de chez moi. Et toi aussi, Bonnie. »

Sa voix était cassante. Blessée, pleine de colère. Il se sentait trahi. Abandonné. Et en même temps … Soulagé. Cette vie insoutenable, avec une femme pincée et coincée, et une fille rebelle qui commençait à tourner mal allait disparaître. Tout serait fini. Et lui, il pourrait refaire sa vie. De son côté, et repartir de zéro. Sans plus faire attention à sa femme et sa fille, Edouard s’alluma une cigarette et s’installa dans un des nombreux canapés en cuir de la salle à vivre. L’ordre était resté pesant dans l’atmosphère. Trop pour Bonnie. Cette dernière pris sa mère par la main et marcha à vive allure vers la porte. En sortant, elle la claqua violemment. Sans même arracher un soupir à son père, à l’intérieur.

PARTIE DEUX ; SOMEWHERE ONLY WE KNOW.