parce que c'est comme ça, et que c'est comme ça que c'est parti



Il faisait froid. Première constatation de Roxanne lorsqu’elle mit un pied dehors, son mp4 sur les oreilles, son chien derrière elle. Ouais, on se les gelait, quelle joie mes amis. Grimaçant légèrement dans le vent froid de la mi-novembre à Wonderland, elle se félicita d’avoir choisi sa paire de New Rock bien chaudes et surtout renforcées de métal et agrémentées de chaines, ce qui faisait ‘cling cling’ quand elle marchait, finalement. Se pelotonnant dans son manteau punk – mi-long et noir, elle l’avait customisé en y ajoutant des fermetures Eclair, des chaines, des sangles et un grand A rouge dans le dos – Roxanne se motiva pour sortir dehors, poussée par un jappement enthousiaste de Fenrir, son berger allemand. Ne prenant pas la peine de le prendre en laisse, elle lâcha enfin la porte de l’immeuble pour s’aventurer dans le froid, plongeant ses mains dans ses poches. Les mitaines c’est bien, mais les gants c’est mieux, hein, t’as pas froid aux doigts avec. Mais c’est moins classe, n’est-ce pas ? Par exemple, elle portait aujourd’hui des mitaines qui lui allaient jusqu’au poignet, rouges rayées de bandes noires, agrémentées de lacets noirs eux aussi, mais pas bien chaudes. Et en fouillant dans ses poches, elle se vit face à un affreux dilemme. Elle sentait son paquet de cigarettes. Elle avait bien envie de fumer. Mais elle avait trop froid. Temps de chiotte. Finissant par céder à son besoin irrépressible de se griller une clope, Roxanne batailla un moment avec sa motivation puis parvint à sortir ses deux mains de ses poches, l’une brandissant son briquet, l’autre son paquet de Marlboro, et elle finit par se cacher sous son chapeau noir, qu’elle avait légèrement attaqué au cutter avant de lui accrocher une grosse et belle épingle de sureté ainsi que quelques badges divers et variés, pour allumer sa cigarette tout en pestant à voix basse contre le temps de merde de Wonderland. Ca s’appelle le Pays des Merveilles et c’est même pas foutu d’avoir un temps potable, bon sang, mais Héla a craqué son string là ! Regardant son chien gambader joyeusement DANS CE FROID DE CANARD MOISI, Roxanne finit par décider de bouger un peu pour se réchauffer, et siffla Fenrir pour en replongeant briquet et paquet dans ses poches après s’être allumé sa cigarette, ne gardant qu’une main dans le froid pour attraper sa clope entre ses doigts de temps à autre pour expirer, observant les volutes de fumée qui s’élevaient dans le ciel. Marchant sans entrain et sans discrétion, aussi, la faute aux baggys bondages et aux chaines qui y sont accrochées, ainsi qu’aux New Rock, Roxanne prit la première direction qui lui venait à l’esprit, à savoir celle du zoo, dans l’espoir que sa sœur s’y trouve. Avec un peu de chance, elle y arriverait avant qu’il ne se mette à pleuvoir, songea-t-elle en regardant le ciel. Et puis elle …

« GRAAAAAAAAH PUTAIN ! »

… s’étala de tout son long en trébuchant sur une plaque d’égout. Ne jamais regarder le ciel dans cette foutue ville, le sol est parsemé d’obstacles plus dangereux les uns que les autres. Décidant qu’en fait non, elle n’avait pas envie d’aller au zoo, et siffla à nouveau son berger allemand – en fait c’est un bâtard, un croisement entre un berger allemand, un chien-loup et un rottweiler – et se dirigea droit vers la place principale de Wonderland. La flemme de marcher loin, mini punkette, elles te font mal tes chaussures ? Hm non, en fait c’est juste qu’elle était à peu près aussi congelée que si on l’avait ligotée et enfermée dans un congélateur par moins quarante-cinq degrés en Alaska. Intimant à son Fenrir adoré de ne pas s’éloigner – parce qu’elle n’aurait pas la foi de lui courir après, hein, Roxanne c’est pas le genre de fille à crever de flippe quand elle se balade dans la rue vous savez – elle arriva bien vite à la petite place, pas bien fréquentée en ce temps si chaud et sec que les gâteaux en chocolat en dégoulinent sur le sol sous ce soleil terrible, parce que vous savez, le chocolat, ça fond. Grommelant tout en se laissant tomber sur un banc, elle monta le son de son mp4 et soupira doucement, suivant Fenrir des yeux tandis qu’il s’éclatait avec la statue au milieu. Qu’est-ce qu’elle s’éclatait bon sang. Dix-sept heures trente, un mercredi après-midi, dans le froid de merde de Wonderland, à regarder son clébard courir partout, c’est clair qu’on s’amuse comme des petits fous, ahaha. Et en plus, elle n’avait même pas pris sa besace, dans lequel trainaient toujours un carnet à dessin, un crayon et une gomme, ou même un bon bouquin, bref, de quoi s’occuper ! Mais là, non, à croire que le froid endormait son esprit comme il endort les marmottes. Mmh, marmotte. Serait-ce le nounours qui s’éveille ? XD N’empêche qu’elle s’emmerdait à en crever, sur son banc, tandis que Fenrir se marrait comme un gamin à sauter partout sur la fontaine qui bougeait pour éviter le gros chien, c’était rageant.
Et le coup de grâce arriva.
Comme si elle ne se faisait déjà pas assez chier, son mp4 jugea amusant d’annoncer que ‘batterie vide’ à ce moment-là. VDM. Elle allait vraiment, mais vraiment, se faire chier, là. Allez on rentre, de un il fait froid, de deux y’a personne, de trois on s’ennuie, moi je reste pas dehors par ce temps de hérisson congelé, bordel. Et puis non. Pile quand elle se levait, un groupe de jeunes hommes arrivèrent et la hélèrent à grands cris. La loi de Murphy, ou pourquoi la tartine tombe toujours du côté du beurre. Ou alors pourquoi c’est quand on veut être pénard qu’une bande de cons vient nous emmerder, aussi.

« Wesh toi la meuf tu m’files une clope ? »
« Non. »

Roxanne contre les weshs, premier chapitre. Lorsqu’eux se cassaient l’esprit à faire une loongue phrase mais par pour autant indispensable – vous savez, un « Excuse-moi, est-ce que ça te dérangerait si je te taxais une cigarette ? » aurait suffit à Roxanne – elle se bornait à leur répondre par un mot, les ignorant avec classe pour chercher son chien du regard. Hé, le gros dur, pourquoi c’est quand on a besoin de toi que tu disparais !? è___é Voyant du coin de l’œil quelques weshs grommeler dans leur barbe et surtout celui qui l’avait abordée prendre un air choqué et pas content du tout, Roxanne retint un petit soupir, fataliste, et se tourna vers eux en dégageant ses bracelets à piques de sous ses manches. Quelques uns changèrent tout de suite d’attitude. Ah ouais, des machins piquants, c’est sûr que ça peut faire mal si elle s’excite, la blondinette. Surtout quand les piques, elles font cinq ou six centimètres, là ça doit vraiment niquer si elle vous les balance dans la gueule. Le ‘chef’ de leur petit groupe ne sembla pas le comprendre, et monta sur ses grands chevaux. Hé, descends de là, pauvre con, t’as l’air crétin sur ton poney.

« Wesh la meuf comment qu’tu m’parles là, on t’a jamais appris l’respect pour les keums !? »
« Non, mais par contre on m’a appris à parler, contrairement à toi, et puis à me comporter comme un être humain digne de ce nom, pas comme un exhibitionniste. »

Un zéro pour Roxanne, qui, plus petite d’une tête ou deux que l’autre, n’eut même pas besoin de se baisser pour tirer sur le jogging qu’il portait sous les fesses et le faire se retrouver en caleçon au milieu de la petite placette. Mauvaise idée, la demoiselle, surtout à une contre quatre, vu que l’un des bonhommes se mit à gueuler que ‘VAZI PAUV’ GOTHIQUE ON VA T’APPRENDRE LA LIFE WESH WESH !’ en la chopant pour la plaquer contre le banc, éveillant de la même façon de mauvais souvenirs d’un certain psychologue chez Roxanne. Mais si, vous savez, celui qui a voulu la violer. Se mettant en rogne, elle balança un coup de genou au hasard.

Bon sang, mais il foutait quoi, Fenrir !?

« … Owh fuck. Pas celui-là. »

Rien que le fait de reconnaître la gueule de péteux d’Ayllen fit grimacer Roxanne, qui relâcha son attention. Et se prit un poing dans la gueule. Ah ouais, vraiment, tu me cogne, pauvre merde ? Se désintéressant immédiatement d’Ayllen, Roxanne se ramassa sur elle-même, observant le jeune homme en plissant les yeux à la façon d’un chat. Avec son pull à oreille de chat, justement, elle devait faire assez bizarre, mais contrairement à ce qu’on l’on pense, pas ridicule. Pas du tout. Elle était calme, et le simple fait qu’elle soit aussi calme suffit à faire reculer légèrement le wesh, pile au moment où elle bondissait en avant en prenant appui sur le banc, jambes et bras armée. Elle le percuta de plein fouet et roula à terre avec, avec un léger grognement. Se dégageant très rapidement de l’emprise de l’homme, elle le fit rejoindre son chef en quelques coups précis, douze ans d’arts martiaux l’ayant dotée d’une rapidité et d’une efficacité redoutable contre les gens de ce genre. Les crétins qui n’avaient jamais appris comment cogner, quoi. Se redressant, les cheveux en bataille, Roxanne jeta un regard à Ayllen, qui avait décidé de s’en taper deux à la fois. Elle ne put retenir un sourire méprisant en le voyant se prendre un bon coup dans la gueule. Pauvre con arrogant va. Remettant son chapeau en place, elle se jucha sur le dossier du banc. Elle n’aimait pas ce type, elle l’idée d’avoir une dette envers lui ne lui plaisait. Dette envers lui ? Quelle idée ! Elle ne lui avait rien demandé, elle s’en serait sortie seu … Avec l’aide de Fenrir, mais en aucun cas elle ne lui aurait demandé de l’aider. Roxanne qui demandait de l’aide à Ayllen, ça aurait été le comble. Elle le trouvait répugnant. Se pensant classe et gentlemen avec son perpétuel chapeau, son sourire synthétique, sa coupe d’émo et son trafic de flingues à deux balles cinquante, il devait sûrement être totalement incapable de différencier les styles, et la penser émo, parce que voilà. Et ça, elle détestait. La différence entre punk et émo était tellement immense que le simple fait qu’on puisse la penser émo la faisait grimacer. Le jour où on la verrait avec cette foutue mèche, elle serait vraiment tombée bien bas. Et puis même. Il suffisait de voir ses fringues pour savoir que bon sang, elle n’était pas une émo !

Sérieux, vous avez déjà vu un émo qui se balade avec un tee-shirt de Metallica et des New Rock, vous ?

Un aboiement sonore coupa net Roxanne dans ses pensées, et elle tourna la tête, à temps pour voir Fenrir débouler vers elle. Et foncer dans ses jambes pour lui faire un gros câlin. Mouillé.

« Putain Fenrir, où t’as été te fourrer encore !? »

Ouais parce que je sais pas si vous savez, mais le gros chien, totalement trempé, qui décide que oh yeah, c’est trop fun de lui faire un câlin tiens !, alors que vous galérez pour conserver une température corporelle tolérable, eh bien ça nique. J’ai fait l’expérience avec le chat qui sort de la neige, ma mère essayé avec sa fille qui rentre d’une demi-heure dans le temps froid, humide et neigeux, ouais, de la Normandie, et je peux vous dire que si, ça fait froid. Bref. Grimaçant légèrement sous le contact de son chien qui trempa instantanément son beau baggy bondage – hé, mes chaines, mes sangles, respecte mes affaires, sale corniaud ! è_é – elle releva son regard bleu électrique quand Ayllen se penchait vers elle avec un sourire charmeur, et lui demandait si ça allait, en utilisant son super surnom de la mort qui tue, à savoir … La blonde. Ouais, t’as une bonne vision, j’ai bel et bien les cheveux blonds, au cas-où on ne s’en serait pas aperçu. Serrant légèrement les dents pour ne pas lui envoyer son poing dans la gueule, Roxanne préféra se plonger dans la contemplation des quatre types qui se barraient en proférant menaces et insultes. Ouais, et quand ma sœur elle va te tomber sur le coin de la gueule et te pourrir la vie, tu continueras à brailler que je suis une pauvre pute ? Avec un rictus méprisant, elle les suivit de regard, l’esprit occupé par une toute autre chose. Elle détestait qu’on l’aide, et le simple fait qu’Ayllen lui ai filé un coup de main la fichait en rogne. Elle estimait être assez grande pour se débrouiller seule, et surtout, elle était une fervente adepte du do it yourself. Qu’est-ce que cela signifiait ? Qu’elle refusait pertinemment qu’on l’aide sans qu’elle ne le demande, ou pire, qu’on l’engueule parce qu’elle n’avait pas aidé quelqu’un qui ne lui avait pas demandé. Roxanne, comme quelques uns, jugeait que les gens avaient droit à leur dignité, et si, pour eux, être aidé par un autre nuisait à cette noblesse, alors elle ne les aiderait pas. D’un autre côté, si elle voyait quelqu’un en vraiment mauvaise posture, elle n’allait pas lui passer devant en haussant les épaules. Rose de Prélumine, par exemple. La jeune fille s’était fait emmerder à cause de son physique particulier, et quelques secondes après, le pauvre crétin qui l’insultait avait senti quelqu’un lui tapoter l’épaule, s’était retourné et s’était pris un direct en plein dans le nez. C’est tout mou, le nez, ça se casse hyper vite ! Se réintéressant à Ayllen, Roxanne répondit enfin.

« Ouais, ça va. »

Inutile de cacher que le simple fait de dire ces mots lui arrachaient la gueule. Alors elle ajouta, relevant légèrement le menton :

« Inutile de te dire que je n’estime pas avoir de dette envers toi, n’est-ce pas, Ayllen ? »